De l’intérêt de savoir utiliser convenablement un diapason
Mes premières années de solfège remontent à quelques années déjà. J’en ai un souvenir à la fois tendre et amer. Les longues heures de lecture répétitive me semblaient plus proches de la corvée que du plaisir, les premiers temps. On m’a mis dans les mains tout un tas d’instruments différents avant que je ne trouve celui qui deviendrait mon compagnon de route par la suite. J’ai appris à manipuler la colophane, la sourdine, mais aussi la popotte et… le diapason.
C’est de lui qu’il faut parler, parce qu’on en parle bien trop peu à mon goût. Je m’en vais vous conter une anecdote, qui date de quelques années, mais qui me fait encore sourire aujourd’hui.
Diapason ou accordeur ?
Pour la petite histoire, il convient de préciser que j’utilise depuis bien longtemps maintenant un accordeur électronique pour accorder mon violon. Je n’aime pas la sonorité qu’il renvoie quand je lui demande un LA, pourtant. Mais il a au moins l’avantage d’être facile à transporter. Et de me donner la note que je souhaite, pas uniquement le LA.
Là où il m’est le plus utile, c’est sans doute lors des cours avec mes élèves. Bien loin du conservatoire, je donne quelques cours privés à de jeunes (ou moins jeunes) gens. Je les accompagne dans le perfectionnement de leur posture, de leurs mouvements d’archet, etc. Alors bien sûr, nous avons parfois besoin de revoir l’accordage de leur instrument, et chaque fois j’obtiens le même discours : je ne sais le faire qu’avec un accordeur.
Utopiquement, j’étais persuadé que je pourrais convaincre ces jeunes musiciens d’accorder à l’oreille. Utiliser un diapason me parait bien facile, mais je suis peut être trop “vieille école”. Il y a une dizaine d’année, après avoir perdu deux heures de cours consécutives, avec deux élèves différents, à tenter de les faire accorder à l’oreille… j’ai tout bonnement abandonné l’idée.
Ce sont des cours pour le plaisir que je leur propose, et non des cours préparatoires aux concours des grandes écoles de musique. D’autant que, étonnement, ces deux élèves en particulier étaient très doués ! Même s’ils ne savaient pas se servir d’un diapason…
J’ai investi dans un accordeur électronique. Un peu à reculons, je dois l’avouer. Depuis, lui et moi sommes devenus amis, presque. Et je l’emporte avec moi partout, pour mes cours et mes concerts. Le diapason reste à la maison, et il reste cependant privilégié quand je suis installé chez moi au salon !
Pas de concert sans diapason
J’en viens enfin à l’anecdote dont il était question plus haut. Il y a quelques années de cela, j’ai été convié à un concert dans une petite salle de spectacle. Un public restreint, mais de vrais connaisseurs. J’avais prévu de jouer du Mozart, somme toute classique, mais à l’origine de mon amour pour la musique.
Ce jour-là, un jeune homme d’une vingtaine d’année jouait aussi quelques morceaux, juste avant moi. Il était apparemment arrivé là par recommandations, j’entendais parler dans la salle de son talent, et j’avais hâte de l’entendre jouer. Quelques minutes avant qu’il ne joue, je vois arriver vers moi une femme au chignon parfait, mais les joues rouges et qui semblait un peu paniquée. La maman du jeune homme se présente alors à moi : son fils a oublié son accordeur, il est persuadé qu’il devrait revoir une de ses cordes… Elle me demande alors mon aide.
Je suis quelque peu surpris de la situation : on n’accorde pas un violon tous les jours, surtout quelques minutes avant un passage sur scène. Et je ne comprends pas… ne peut-il pas accorder son violon à l’oreille ? Apparemment il est très stressé. Sa maman semble ne pas trop s’y connaître en musique finalement, elle m’invite à les rejoindre dans la pièce attenante pour aider son fils.
Je serre la main du jeune homme, dont la moiteur reflète l’état de stress. Le concert approche à grand pas, et il semble vraiment paniqué. Au dessus de mon étui de violon, la sacoche à accessoires contient mon fidèle diapason. Celui que je promenais partout avant d’investir moi aussi dans un accordeur. Je le tends au jeune homme, qui me regarde d’un air effaré. Ascenceur émotionnel pour lui : il pensait que je venais en sauveur, et je ne fais que lui compliquer la tâche.
Il saisit le diapason d’une main tremblante, le regarde avec de grands yeux, puis son regard hagard se lève vers moi et il me le rend. Il ne m’a pas fallu plus d’une seconde pour comprendre ce qui se jouait à cet instant. Bien que très talentueux, ce jeune homme ne savait semble-t-il pas utiliser un diapason. Et il se retrouvait alors fort embêté pour accorder son instrument, alors même que c’était la seule solution à sa portée.
L’histoire se termine bien, rassurez-vous. J’ai fini par accorder son violon moi-même, et suis retourné dans la salle attendre son passage. Et pour le coup, il était vraiment très doué ! Mais cela me rappelle à quel point il est important de connaître ses fondamentaux… Même si les accordeurs électroniques ont pris le dessus sur les diapasons, il ne faut pas négliger leur utilité ! En plus, ils n’ont pas besoin de piles, eux.